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L’incroyable histoire des naufragés de Clipperton

23 juillet 2009

 

Les survivants de Clipperton

Les survivants de Clipperton

Il y a 100 ans, l’île de Clipperton fut la scène d’une incroyable histoire de courage et de survie. 

Cet atoll de 6 km2, perdu au milieu du Pacifique, qui appartient aujourd’hui à la France[1], était alors l’objet d’un conflit diplomatique entre la France et le Mexique, qui réclamaient toutes deux la souveraineté de l’île. D’un côté, le gouvernement mexicain argumentait que l’île faisait incontestablement partie du territoire national, puisque l’atoll avait été découvert par la marine espagnole après la conquête et était donc devenu propriété de la nation après l’indépendance; mais de son côté, le gouvernement français alléguait que  l’île avait été découverte en 1858 par le capitaine Victor Le Coat De Kerwéguen et était donc de sa propriété.

Pour résoudre le différend diplomatique, la France et le Mexique, qui était alors gouverné par le général Porfirio Díaz, décident en mars 1909 de recourir à un processus d’arbitrage international, comme il était coutume à l’époque. C’est le roi d’Italie, Victor Emmanuel III, qui est chargé de trancher le conflit de souveraineté sur l’atoll qui oppose la France et le Mexique. Du fait de l’éclatement de la Première Guerre Mondiale, le processus d’arbitrage se prolongera plus de 20 ans, et ce n’est qu’en 1931, que Victor Emmanuel III émet sa résolution sur le cas Clipperton, en faveur de la France.

Cependant,  ce qui nous intéresse ici n’est pas de revenir sur le différend diplomatique qui opposa la France au Mexique au début du siècle dernier, mais de raconter l’incroyable épopée humaine qui se déroula sur l’île de Clipperton, pendant que dans les hautes sphères internationales, on résolvait le conflit sur la souveraineté de l’atoll.

Une drôle de mission

L’histoire de cette épopée commence lorsque la général Porfirio Diaz décide d’envoyer un bataillon d’une dizaine de soldats sur l’île de Clipperton pour garantir de facto la souveraineté du Mexique sur l’atoll,  en attendant que le roi d’Italie résolve le différend. La tache n’est en rien facile, puisque l’atoll de Clipperton ne mesure pas plus de 6 km2 et qu’il n’y pousse aucune végétation, si ce n’est quelques cocotiers qui ont été plantés par le représentant de l’entreprise anglaise qui exploite le guano sur l’île. En outre, la mer autour de Clipperton est dangereuse et habitée par un grand nombre de requins. C’est donc une île inhospitalière qui attend la troupe, qui devra apprendre à vivre avec les crabes et les oiseaux bobos pour seuls compagnons. De façon à garantir la survie des habitants de l’île, la marine mexicaine s’engage à assurer  le ravitaillement de Clipperton par bateau tous les 3 ou 4 mois. Le capitaine Ramón Arnaud, né au Mexique, mais d’ascendance française, est nommé à la  tête de la troupe et chargé de mener à bien la défense de  Clipperton, dans le cas où une puissance étrangère prétendrait s’en emparer par la force. 

La découverte de Clipperton

Le capitaine Ramón Arnaud

Le capitaine Ramón Arnaud

Selon le livre la Tragedia de Clipperton de María Teresa Arnaud de Guzmán, petite-fille du capitaine, Ramón Arnaud se rend pour la première fois à Clipperton en 1907. Il y reste quelques mois, accompagné par une dizaine de soldats et leurs femmes. En 1908, il rentre à Orizaba sa ville natale, pour se marier avec sa promise, Alicia Rovira. Après leurs voyages de noce, il revient à Clipperton, accompagné de sa jeune épouse. Suit une période de relative tranquillité, durant laquelle le capitaine et sa femme s’occupent de rendre habitable l’île et engendrent deux enfants, Ramón et Alicia. Les conditions de vie sont rudimentaires, mais somme toute, acceptables, grâce à la visite de la marine mexicaine, qui tous les 6 mois, vient relever le contingent et apporte des denrées alimentaires du continent. Lors de l’une de ces visites, Ramón Arnaud apprend que la Révolution a éclaté au Mexique et que Porfirio Díaz a abandonné le pouvoir et est parti en exil en France. Face à cette situation aussi nouvelle qu’imprévue, Ramón Arnaud décide de partir à Mexico pour recevoir les ordres de ses nouveaux supérieurs et savoir si sa mission à Clipperton se poursuit ou non.

La parenthèse du continent

Ramón Arnaud et sa famille partent pour le continent en décembre 1911. C’est Francisco Madero qui occupe alors la Présidence de la République et celui-ci ordonne à Arnaud de continuer à assurer la défense de Clipperton. Mais les instructions de Madero ne sont que temporaires. En février 1913, Francisco Madero est assassiné par Victoriano Huerta, après une période de forts troubles politiques connue au Mexique sous le nom de Decena Trágica.   Dans l’attente de nouvelles instructions, Ramón Arnaud prolonge son voyage dans la capitale. C’est ici que naîtra le 3e enfant du couple, Olga Lidia, en août 1913. Les violents affrontements qui secouent alors la capitale du pays font penser à Arnaud que sa famille sera plus en sécurité à Clipperton. Le 26 août 1913, le capitaine Arnaud reçoit enfin les instructions qu’il attendait du gouvernement du Général Huerta: retourner à Clipperton, pour démontrer que même au milieu de l’agitation révolutionnaire qui secoue le pays, le Mexique continue en possession de l’île.

L’ouragan dévastateur

En janvier 1914, le capitaine Arnaud, sa femme et ses 3 jeunes enfants, prennent enfin le chemin de Clipperton. Ils sont accompagnés par Altagracia Quiroz, une jeune mexicaine que le couple a embauché lors de son passage à Mexico pour s’occuper des enfants, et de 11 militaires et leurs femmes, qui doivent remplacer le contingent de soldats restés sur place. A Clipperton, les attend le seul représentant de l’entreprise de guano qui demeure encore sur place,  Gustavo Schultz. La vie reprend son cours peu à peu, mais très vite, la situation se dégrade.

En février 1914, l’île de Clipperton est touché par un violent cyclone, qui détruit la plupart des installations et le jardin potager, qui avait été aménagé laborieusement année après année, grâce à la terre noire qui avait été apportée du continent par les bateaux de ravitaillement. Pour couronner le tout, lors du cyclone, un bateau a fait naufrage près de l’île et 12 rescapés ont échoué à Clipperton, ce qui double le nombre de bouches à nourrir, alors que l’ouragan a fortement diminué les réserves de nourriture de la garnison.    Face à cette situation peu prometteuse, l’unique espoir du capitaine Arnaud est la prochaine visite du bateau de ravitaillement, qui est normalement prévu pour le mois de mai.

Mais début juin, aucun bateau ne s’est encore approché de l’île de Clipperton. La politique de rationnement, imposé par le capitaine Arnaud pour prévenir la pénurie alimentaire, a accru les tensions entre les habitants de l’atoll, qui voient d’un mauvais œil la situation des naufragés.  De plus en plus sceptique sur l’arrivée du bateau de la marine mexicaine, le capitaine des naufragés décident alors d’envoyer 4 de ses meilleurs marins chercher de l’aide à Acapulco, à bord d’un canot de sauvetage.   Contre toute attente, après 17 jours de traversée et environ 1000 kilomètres de haute mer, 3 des 4 marins parviennent à Acapulco et sollicitent l’envoi immédiat d’un bateau à Clipperton.

La dernière chance

Le 25 juin 1914, le bateau de guerre américain USS Cleveland, commandé par le capitaine Williams, arrive à Clipperton. Les 8 naufragés montent à son bord, ainsi que Gustavo Schultz, dont les activités sur l’île sont terminées. Williams demande alors à s’entretenir avec le capitaine Ramón Arnaud, à qui il informe de la difficile situation politique que traverse le Mexique : l’occupation de Veracruz par l’armée américaine ; la précarité du gouvernement du général Huerta, qui doit faire face aux attaques de l’armée Constitucionalista; et pour couronner le tout, le proche commencement d’une guerre de dimensions internationales. Face à la faible probabilité que l’armée mexicaine envoie un navire à Clipperton, le capitaine Williams propose à Arnaud de le ramener sur le continent lui et sa famille, ainsi que le reste de la garnison. Mais Willliams ne pensait pas avoir à faire à un militaire, avec un si fort sens de l’honneur. Ayant appris de la bouche du capitaine Williams que l’armée américaine a envahi le port de Veracruz, Arnaud prend la décision de ne pas accepter l’aide de l’ennemi et de rester à Clipperton,  avec le consentement de ses soldats.

Le 25 juin 1914 au soir, l’USS Cleveland quitte Clipperton, laissant derrière lui 137 boîtes de provisions, et un bataillon  de 12 soldats, accompagnés de leurs femmes et  enfants.

Les oubliés de Clipperton

Commence alors une époque difficile pour la garnison de Clipperton, marquée par la pénurie d’aliments et la maladie. Jusque-là, la vitamine C sur l’île n’avait pas fait défaut grâce aux cocotiers, au jardin potager et aux visites de ravitaillement de la marine mexicaine, mais à partir de juin 1914, le scorbut – maladie qui est due à un déficit en vitamine C- fait ses premières victimes. En mai 1915, le contingent de Clipperton s’est considérablement réduit : seuls survivent encore le capitaine Ramón Arnaud et sa famille,  le lieutenant Segundino Angel Cardona et sa femme Tirsa, Altagracia, Juana –la femme d’un soldat- et 3 enfants orphelins (Francisca, Antonio et Rosalia).

A la fin du mois de mai 1915, à presque un an de la visite de l’USS Cleveland, le capitaine Arnaud aperçoit enfin aux larges des côtes de Clipperton un navire. Mais au lieu de se rapprocher de l’atoll, celui-ci dévie sa route et s’éloigne peu à peu. Désespéré par la situation,  Arnaud et le lieutenant Cardona décident de  mettre à la mer un radeau de fortune pour tenter d’intercepter le navire. Mais les vagues et les animaux marins auront raison des soldats. Le capitaine Arnaud et le lieutenant Cardona disparaissent dans la mer, abandonnant femmes et enfants à leur destin.

Le calvaire des femmes

En juin 1915, Alicia –la femme de Ramón Arnaud-, Tirsa, Altagracia et Juana, se retrouvent abandonnées à leur sort, avec 6 enfants à leurs charges, et bientôt 8, car Alicia et Tirsa attendent toutes deux un bébé. Femmes et enfants survivent tant bien que mal de la pêche, des crabes et des œufs des oiseaux bobos qui peuplent l’île. Heureusement, l’eau douce ne manque pas, car il pleut fréquemment sur l’île, ce qui permet aux habitants d’assouvir leur soif. Mais un nouvel élément vient bientôt perturber la routine, pourtant déjà difficile des femmes : Victoriano Alvarez, un des soldats de la garnison que tout le monde pensait mort, a en fait survécu au scorbut. Celui-ci se rend compte qu’il est le seul mâle à être encore en vie sur l’île, et au lieu de venir en aide à ses compagnes d’infortune, il décide de mettre à profit la situation et de convertir les femmes en ses esclaves sexuelles. C’est d’abord le tour de Juana, qui meurt assassiné par Victoriano, puis le tour d’Altgracia. Au final, toutes subiront les sévices sexuels de celui qui s’est autoproclamé roi de Clipperton, y compris les enfants.  Si l’on en croit le livre de María Teresa Arnaud de Guzmán, seule Alicia aurait échappé à Victoriano, car après 2 ans de sévices, en juillet 1917, Tirsa et Alicia décident dans un ultime accès de colère, d’en finir avec leur bourreau. 

La salvation

Curieusement, ce même jour, le navire américain Yorktown pose l’ancre à proximité de l’île de Clipperton. Ce n’est pas un hasard. La Première Guerre Mondiale bat son plein, et le capitaine H. P. Perril qui commande le navire, a été chargé par ses supérieurs de réaliser une visite d’inspection à Clipperton, car des rumeurs courent que les Allemands ont installé des bases de sous-marins au large des côtes mexicaines. Quelle sera leur surprise en découvrant, en lieu et place des Allemands, 4 femmes et 8 enfants, vêtus de grossières toiles de navire !

Il aura fallu plus de 3 ans pour qu’un bateau fasse arrêt à Clipperton et ramène sur le continent les ultimes survivants du contingent. Le 21 juillet 1917, après 3 ans de vivre comme des Robinsons, Alicia et ses 4 enfants, Tirsa et sa fille Guadalupe, Altagracia, Rosalia, Francisca et Antonio mettent enfin pied sur le continent.  

Epilogue

Malheureusement pour les hommes et les femmes qui assurèrent la défense de Clipperton pendant presque 10 ans, le Mexique perdit la propriété de l’île le 28 janvier 1931, en faveur de la France. Leur sacrifice aura donc été vain, mais l’histoire extraordinaire des seules personnes qui aient jamais habité Clipperton,  véritable exemple de courage et de  persévérance, mérite de ne jamais être oubliée. Cette histoire a d’ailleurs inspiré de nombreux romanciers, aussi bien en Amérique Latine qu’en France. Nous conseillons les très bons romans, L’île aux fous, de la mexicaine Ana García Bergua, traduit aux éditions Mercure de France, et La Isla de La Pasión, de l’écrivaine colombienne Laura Restrepo, qui n’est malheureusement pas traduit en français.


[1] voire notre précédent article, Clipperton ou comment un atoll de 6 km2 est devenu l’un des dossiers sensibles des relations diplomatiques entre la France et le Mexique

2 commentaires leave one →
  1. royer serge permalink
    11 septembre 2009 1:19

    passionnante histoire jade et continue le combat pour toutes ces bonnes informations bises à toi et à gaby

  2. ratonet permalink
    2 novembre 2010 10:01

    Moi j’ai lu l’histoire il y a quelques années, c’est magnifique.

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